Podcast France Antilles sur l’auto suffisance alimentaire en Guadeloupe

Transcription

France-Antilles : L’épidémie de Covid-19 a mis en lumière beaucoup de choses, que parfois, la frénésie de nos sociétés modernes nous empêchait de voir. Nos modes de vie sont destructeurs et nos systèmes sont inéquitables. Et on ne sait pas très bien en gérer les conséquences. En Guadeloupe comme ailleurs, l’arrêt de la vie durant deux mois aura un impact. Et même si nous, les Antillais, sommes légendairement résilients, pour la résilience de notre société en revanche il faudra surement repasser. Avec le déconfinement, beaucoup mentionnent le “monde d’après” sans que l’on sache vraiment ce que cela veut dire. Doit-on retomber dans les mêmes mécanismes ? Doit-on tout changer ? Quelles initiatives ou solutions existent ? Ici, ailleurs, sur l’île ou dans d’autres pays des voix s’élèvent. Parfois elles parlent depuis longtemps. Il est peut-être temps de les écouter. Un monde en construction, un podcast de France Antilles.

Aujourd’hui, on va parler d’auto-suffisance alimentaire. L’auto-suffisance alimentaire c’est, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, la satisfaction de tous les besoins alimentaires par la production nationale. C’est aussi un mot très à la mode qui sonne un peu écolo et dans lequel on jette le “manger local et de saison”, les circuits courts, les produits transformés, les agriculteurs, les éleveurs, les pêcheurs et même les distributeurs. Et ça inclut aussi ces supermarchés qu’on adore détester mais que beaucoup d’entre nous fréquentent quand même.

Au niveau mondial, on dit qu’il faut 2 200 pour qu’une personne puisse se nourrir sans problème. Cela revient à environ 5 personnes par hectare. Sur la base de ce calcul, avec les 40 000 hectares de fonciers agricoles de Guadeloupe, on pourrait nourrir un peu plus de la moitié des habitants de l’île. Ça c’est Jean-Marc BLASI qui le dit. Il est directeur de recherche en agroécologie et bioéconomie à l’INRA et il a peut-être des solutions pour arriver à nourrir tout le monde.

Jean-Marc BLASI : Aujourd’hui, on dit qu’on est à 20%. C’est à dire que l’agriculture de l’île satisfait 20% des besoins alimentaires et donc il y a 80% des besoins qui sont importés. Mais ce chiffre là, de nourrir 1 personne sur 2 avec l’existante, à l’INRAE on développe des projets pour essayer d’accroître justement la productivité  des systèmes agroécologiques qui seraient très intenses en biodiversité mais aussi en travail. On espère arriver à atteindre ce chiffre de 8 personnes. Auquel cas on pourrait nourrir toute la population, voilà. Pour moi, il faudrait effectivement une diversification des systèmes agricoles. Il faudrait beaucoup plus d’agriculteurs et il faudrait beaucoup plus de travailleurs agricoles. Alors, sachant que justement, le modèle, nous, qu’on privilégie à l’INRAE, c’est plutôt des petites exploitations familiales : une personne ou un couple, pour cultiver ces petites surfaces. Ça, c’est un petit peu l’agriculture traditionnelle de Guadeloupe mais qui malheureusement est en train de disparaître. Et aujourd’hui on a des agriculteurs qui sont très spécialisés et la moitié des surfaces sont orientés vers des cultures d’exportation. Donc on sait déjà qu’elles contribuent pas du tout à l’autonomie alimentaire et aussi qu’elles sont fortement menacées car entièrement dépendantes des subventions. Il faut aussi revoir les modalités de soutien à l’agriculture et surtout de soutien à la petite agriculture familiale, ça c’est fondamental. Pour moi, c’est aussi au niveau de la consommation. C’est à dire qu’il faut qu’il y ait un appel d’air et que les consommateurs ait vraiment la préférence, y compris en payant un peu plus cher que ce qu’ils peuvent payer parfois aux supermarchés pour des produits importés, mais que les consommateurs fassent ce choix du local pour que l’agriculteur guadeloupéen aussi puisse vivre décemment de son activité. Le jardin créole c’est un modèle, sur le plan agroécologique, qui est très intéressant. Mais il faut le revisiter et le remettre un petit peu au goût du jour et dans le cadre de structure quand même professionnel on va dire. Pour qu’il y est quand même, effectivement, des gens qui soit spécialisés dans la production d’aliments pour les autres parties de la population.

France-Antilles : Jean-Marc imagine bien une filière entière qui se recréerait. D’abord, en réintroduisant de la biodiversité et de l’agro diversité dans les cultures. Mais aussi, en fabricant sur place des bio intrants. Et puis, dit-il, il faudra beaucoup de bras et pourquoi pas innover sur de la petite mécanisation, histoire d’alléger la pénibilité du travail d’agriculteur. Et tout ça, selon lui, dépends de plusieurs facteurs.

Jean-Marc BLASI : Premièrement, il faudrait des références techniques sur les techniques de culture et la production aussi de tous ces nouveaux intrants d’origine biologique, des solutions adaptées vraiment à la Guadeloupe pour faire fonctionner l’agriculture qui nourrisse sainement sa population. Qui la nourrisse déjà de manière beaucoup plus autonome et ensuite à un coût, bien évidement, acceptable.
Deuxièmement, je pense qu’il faut des gros travaux aussi sur tout l’environnement des agriculteurs. Être capable, justement, de les conseiller pour qu’ils puissent re concevoir un petit peu leur modèle agricole. C’est à dire, qu’ils ne prennent pas non plus trop de risques, parce que changer c’est facile à dire mais c’est difficile à faire. Il faut comprendre que, quand on gère des surfaces, des plantes etc, il y a des risques de se tromper. Donc là il faut aussi accompagner les agriculteurs dans cette transition en terme de formations mais aussi bien sur en terme financier. Tout changement implique une période transitoire où on a souvent des pertes de revenues. Il y a des échecs et c’est normal. L’agroécologie c’est du sur mesure, c’est pas du pret-à-porter. Et puis enfin, sur l’environnement, on va dire un petit peu plus lointain, je pense qu’il faut des prestataires de services mais aussi des gens qui fabriquent des bio intrants localement pour que les agriculteurs puissent s’approvisionner en semences, en variétés, en engrais d’origine locale. Et puis, la dernière touche, pour atteindre le consommateur. Donc là je pense qu’il y a vraiment besoin de structurer mieux les circuit-courts en Guadeloupe où c’est encore un petit peu difficile encore aujourd’hui de s’approvisionner vraiment en produits locaux. Déjà, parce qu’on a pas toujours l’information sur “où est-ce que se trouve tout un tas de produits”. Je pense qu’avec les techniques numériques aujourd’hui, c’est assez facile pour faire en sorte qu’on est accès facilement à des produits des agriculteurs sur la place.

France-Antilles : Cette habitude, certains l’ont déjà prise depuis déjà plusieurs années, emmenés par l’agroécologie par des questionnements sur l’utilisation des pesticides. Surtout qu’aux Antilles, l’Histoire avec les pesticides, elle est plutôt lourde. Alors comment est-ce qu’on cultive sans eux ?

Steve Salim, Guadeloupe Forever : Je m’appelle Steve Salim et j’ai créé Guadeloupe Forever il y a un peu plus de 5 ans. C’est quand même une démarche que j’avais commencé il y a un peu plus longtemps, environ 7 ans. J’ai commencé à me poser des questions sur la traçabilité des produits que nous mangions en Guadeloupe. Je voulais manger que du local mais on était confronté à un autre souci, c’est de savoir d’où venaient ces produits, surtout avec le problème de la molécule de chlordécone. Et donc j’ai commencé à faire des recherches, à m’intéresser à l’agriculture et à savoir comment on plantait et comment on faisait autrefois surtout pour planter de façon naturelle, sans utilisation de pesticides. Et donc j’ai un peu fait des recherches dans différents domaines : sur l’agriculture bio, sur l’agriculture de ce qu’on appelle le jardin créole autrefois, sur l’agroécologie, la permaculture. Et ensuite j’ai choisi ma démarche grâce à une petite dame en fait qui m’a beaucoup apporté. C’est elle qui m’a influencé dans le choix de ce qu’on appelle l’agroécologie aujourd’hui ou le jardin créole. Alors, en fait, il faut savoir que l’agriculture qu’on appelle agroécologie, c’est ce qu’on appelle l’agriculture traditionnelle. C’est une sorte de bon sens. On essaie de regrouper un certain nombre de techniques et on essaie surtout de faire pousser des plantes, des fruits, des arbres, des légumes en les associant. Ça va attirer différentes variétés d’insectes et il n’y aura pas un seul insecte qui va [venir]. Si tu veux, le fruit et légume n’aura pas qu’un prédateur, quand il aura un prédateur cette insecte là, il y aura un prédateur pour le manger en fait. Donc ça va s’autoréguler. Et il y a aussi des plantes qui sont des répulsifs naturels et qui vont repousser certains types d’insectes. Et en fait, ça a toujours existé, que ce soit en Guadeloupe, que ce soit en Afrique, que ce soit en Asie, que ce soit même en Europe, parce qu’en fait l’utilisation des pesticides est, quand on prend l’origine de l’agriculture, 10 000 ans il n’y avait pas de pesticides, les pesticides sont arrivés il y a 50 ans, après la Seconde Guerre Mondiale. Et donc on utilisait certaines techniques pour pouvoir nourrir la planète et ça fonctionnait très bien. C’est ce qu’on essaie d’appliquer. Nous on travaille sur ce que j’appelle des oasis, c’est un terme que j’aime employer parce que ça donne la vie. On associe sur un peu moins d’un hectare, une cinquantaine de variétés de plantes différentes, de fruits et légumes différents. Et il y a une technique quand même. On commence par entourer, si tu veux, cet espèce là avec certains arbres fruitiers qui vont fixer l’azote. Ensuite, il y aura par exemple comme le pois d’angole. Pois d’angole c’est un légumineux qui va fixer l’azote dans le sol et il va permettre de maintenir les engrais naturellement dans le sol. Ensuite tu as du goyavier, tu as des papayers, tu as des bananiers etc. Et plus on rentre à l’intérieur, et plus on va commencer à faire des fruits et légumes dit “sensibles”. Il faudra planter, par exemple, à côté des tomates des choses qui sentent fort comme par exemple du basilic, repousser des pucerons, repousser parce qu’il y aura des coccinelles parce qu’en fait le jardin est tellement riche que ça va emmenait quelque chose. Tu auras des abeilles qui vont apporter eux-même le pollen qui va enrichir les arbres fruitiers tout autour. Les abeilles vont pouvoir faire du miel. Il faut savoir que nous, pourquoi les produits sont un tout petit peu plus cher, parce qu’en fait il y a une main-d’œuvre, il y a des gens qui sont là en train de surveille tous les jours. Alors que les produits chimiques, une fois que tu as planté, ça commence à pousser, tu mets ton produit dessus, eh bien il y aura plus d’insectes, ça c’est sur. La terre est tellement morte de toutes les façons qu’il y a rien qui va pouvoir arriver jusqu’à eux.

France-Antilles : Durant cette crise sanitaire, on a beaucoup entendu parler d’agriculture, d’écoulement de stocks, de panier péyi, de productions locales. Après les grèves de 2009, un frémissement de la sorte s’était déjà vu et durant le confinement on a aussi vu tout le monde s’organiser, avec une page Facebook, une plateforme numérique, pour que les consommateurs et les producteurs se retrouvent facilement. Alors il reste une question : Allons-nous laisser tout ça retomber ?